Patrick Prigent, Possibles n° 61, janvier 2021

Patrick Prigent
Le contemporain de ce numéro de décembre 2021

Parole simple

Je dors en Bretagne demain soir. J’irai tondre le jardin de ma mère. Les herbes sous l’hélice auront l’odeur de l’eau, le jaillissement, la clarté verticale du rire des enfants éclaboussés.
J’aurai d’autres choses à faire qu’attendre de patienter. Là-bas l’inquiétude se résout par les mains. Il faudra du bois pour l’hiver. Une maison pauvre mais propre pour l’enfant qui viendra taper à la porte après être entré.
Quelques poules pour les oeufs. Un bon abri contre le renard. Des amis. De la musique et des chants et des danses. Du feu en toutes saisons. Un grand lit qui sent bon la lessive pour s’y écarteler de plaisir. Des muscles éreintés. Des réveils au sursaut du travail. Travailler. Travailler. Travailler. Travailler mais affranchis du salariat. Violents et paisibles. Rudes et doux. Taiseux mais bienveillants. Je me retrouve Laurianne dans la trouvaille de toi. Tu me révèles à tout ce que je savais sans connaître. Je n’avais pas compris au départ que tu veillais bien plus sur Nous que sur moi ou sur toi. Garde cette veille et veille sur elle pour moi.
Je dors en Bretagne demain soir, avec toi.

Patrick Prigent, repris du Livre des visages

« Deiz e tamm bloavez »
[je ne connais pas l’orthographe exacte en breton]

C’était la fête du premier janvier, pas celle de la veille. Les plus jeunes faisaient le tour du village, allaient boire un coup dans chaque maison des plus anciens pour souhaiter la bonne année. Parmi les plus jeunes des plus jeunes, il y avait ceux qui avaient fait la bringue toute la nuit, accueillis comme des princes par les vieux à 8h00 le matin. Tout était déjà prêt sur la table, le café, les crêpes et les bouteilles. Au fur et à mesure de l’odyssée la bande s’agrandissait, les uns se retrouvant chez les autres. C’était un temps de paradis sur Terre. « Allez on va chez mes grands parents maintenant. » On était plus très frais mais toujours ce bonheur d’être ensemble. De parler, de chanter, de se défier en joutes verbales, de rire. C’était il n’y a pourtant pas si longtemps. Mais que s’est-il passé entre temps ? Est-ce cela ce monde dans le quel désormais les hommes veulent donc vivre ? Sans excès, sans folie, sans fête, sans nos anciens, sans chanter ?
Alors c’est sûr. Ce n’est pas de la nostalgie.
Je l’ai déjà quitté, ce monde.
Maman.

Patrick Prigent, repris du Livre des visages


Patrick Prigent, Deux autres poèmes —>

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante